Le compositeur Ludovic HAUTEVELLE a rejoint le réalisateur Mathieu BROCHIER pour la composition de la musique du film Prélude, un court-métrage contemplatif et poétique dédié à l’orage, tourné intégralement en prises de vues réelles. Dès la sortie de Prélude, vous nous avez fait part de votre engouement vis à vis de sa bande son, et de nombreuses questions nous ont été posées. Nous nous sommes dit que ce serait une bonne idée de les regrouper et se faire un petit tête à tête avec Ludovic pour en discuter.
J’ai rencontré Mathieu sur un festival où je donnais un coup de main à des amis dans la média room alors que lui tournait un reportage sur ce festival. Ce n’était pas le contexte pour parler musique de film, et ni lui ni moi savions que l’un était chasseur d’orages, et l’autre compositeur de musique. J’ai ensuite vu une publication qu’il avait partagé sur les réseaux sociaux, un magnifique timelapse qu’il avait monté pour le photographe Christophe Suarez. J’ai adoré et je lui ai immédiatement écrit, lui disant que j’aimerais bien composer de la musique pour ce genre d’images.
Alors, on a pris rendez-vous, il est venu au studio, arrivé à 15h et reparti à 3h le lendemain. On a parlé musique, visionné des vidéos, écouté des morceaux… Bref, on a partagé nos passions. Il m’a parlé de son projet de film sur les orages, qui au départ portait un autre nom et il m’a proposé en décembre 2019 de composer de la musique pour un essai de 1 minute nommé ‘Cycles’. J’ai donc saisi cette opportunité de composer pour illustrer ses images que je trouvais vraiment belles.
En fait, j’ai immédiatement été intéressé par le projet d’illustrer des images d’orage. Cette atmosphère que l’on peut ressentir en tant que passionné du ciel et ses colères, c’est unique, c’est intense. J’ai trouvé que c’était vraiment une super idée de faire un film dessus. J’ai tout de suite dit “GO!” Mathieu a été très emballé par la musique de Cycles et m’a proposé de travailler avec lui sur Ascension alors qu’il commençait tout juste à écrire le scénario.
Durant la pandémie, j’ai eu beaucoup de temps pour composer, faire des concours, comme la re-composition de la musique d’une scène de Westworld (OCS/HBO) ou encore des concours de musique à l’image que j’ai fait écouter aux amis. Le réalisateur de Prélude en faisait partie et a pu découvrir ma manière de travailler et l’étendue de mon style.
Et puis un jour, en octobre, Mathieu arrive au studio, et me dit “bon, j’ai deux ans d’images sur mon disque dur, que j’ai tourné un peu partout, pas mal de matière. Qu’est ce que tu en penses si on fait un premier court métrage, pour ‘anticiper’ un peu ‘Ascension’, planter le décor de ce qu’on va faire, créer une atmosphère, une palette sonore et commencer à travailler ensemble ?” Et là deux choses on été aussi évidentes l’une que l’autre : qu’on travaillerait ensemble et que ce projet s’appellerait Prélude.
J’apprécie particulièrement travailler avec Mathieu car j’ai cette conviction qu’il a la même sensibilité que je peux avoir au son, mais à l’image. De plus, j’avais vraiment apprécié travailler avec lui sur l’essai que j’avais fait pour ‘Cycles’ car il sait où il veut aller, il sait diriger tout en étant consultatif, et a cette soif de perfection et ce sens du détail et de la précision.
En fait, c’était un peu spécial et nouveau à la fois pour nous deux cette manière de travailler sur Prélude. Mathieu a l’habitude de monter ses images sur de la musique existante, et moi c’est le contraire, j’ai l’habitude de composer à l’image. Du coup, on a fait des bonnes séances de brief créatif durant lesquelles on a écouté pas mal de musique de l’univers de Mathieu, notamment une playlist qu’il m’avait faite sur Spotify.
En écoutant les morceaux ensemble au studio, je lui ai demandé ce qu’il aimait et comment il voulait faire progresser le film. Au tout début de notre rencontre, il m’avait également parlé de sa série préférée Mr Robot, de cette ambiance et cette atmosphère très introvertie qui caractérise le personnage (vous ne lui dites pas mais je ne l’ai encore pas regardé, j’espère qu’il va me garder dans l’équipe).
Plus sérieusement, Mathieu m’a envoyé des prises qu’il avait faites, des rushs, et j’ai commencé à travailler ma palette sonore.
C’est là que le premier thème est né, nous avons appelé ce morceau : The Quest.
Cette collaboration s’est vraiment super bien passée, on a bossé main dans la main sur ce projet. Nous avons eu la chance de travailler entre deux vagues de COVID et de pouvoir se voir régulièrement. Outre le fait que nous ayons une bonne connexion pour travailler à distance, nous sommes dans la même ville, du coup c’est très simple pour se voir, valider ensemble les choses au studio.
Aussi, et c’était super original, Mathieu est quelqu’un qui travaille sur ses vidéos la nuit, moi au son plutôt de jour (ce qui est apparement rare pour un compositeur…), du coup j’avais vraiment l’impression de travailler avec un réalisateur de Los Angeles et nous avions cette fameuse fenêtre de temps entre 17h et 21h, heure où je boucle ma journée, et où lui allume Premiere (logiciel de montage vidéo). Bien souvent, le matin au réveil à 6h, moi, “équipe de jour”, j’écoutais les messages de Mathieu dit “équipe de nuit”, qui lui allait se coucher. C’est assez fun et original comme méthode, ça permet au final d’être très autonome.
Au niveau de la collaboration, c’était cool aussi ! Dès que j’avais un début de quelque chose, je le lui envoyais pour qu’il puisse avancer sur son montage, puis je peaufinais. Dans nos réunions du soir, on faisait le point sur ce qui allait et ce qu’il fallait ajuster, et on avançait comme ça, en sur mesure entre passionnés. On a également développé notre méthode de travail : nous avons commencé par réaliser une sorte de mix storyboard / moodboard avec une image “clé” pour chaque séquence, ou partie. Au fur et à mesure de l’avancement, j’ai aussi réalisé une cue sheet, avec les timecodes, et les différents tempos à utiliser pour les séquences, cela nous permettait de voir les séquences à rallonger pour tomber au bon moment et ce qu’il fallait ajuster.
C’est chouette de travailler avec Mathieu car il est vraiment ouvert pour les méthodes à utiliser, connaît aussi bien la musique, sait ce qu’il veut et surtout ce qu’il ne veut pas, restant à l’écoute et laissant libre court à proposition.
C’est vrai que quand je parle d’orage, il y a souvent deux types de réactions flagrantes, et ça se voit à la tête que font les gens… Avant de rencontrer Mathieu, je ne connaissais rien à ce phénomène, mise à part qu’il y avait un éclair, que ça grondait et que si on voulait savoir où la foudre était tombée, il fallait compter le nombre de secondes entre les deux et diviser par 3, ce qui donne le nombre de kilomètres ! C’est à peu près tout !
Du coup, après quelques échecs sémantiques auprès de passionnés d’orages, je me suis un peu renseigné et pu mieux comprendre cette fascination. J’avoue m’être, grâce à Mathieu, intéressé de plus près et comprendre cette passion parfois très dangereuse.
En ce qui concerne l’écriture des thèmes, le procédé a été vraiment très bizarre puisqu’on a monté le film dans le désordre. Même s’il comporte des relâchements d’énergie et des rebondissements, ma méthode de fourniture des thèmes a été une énergie crescendo. En fait, pour vous mettre dans la confidence, mes premières notes ont été celles du piano de l’écran titre. C’était en fin de séance de travail et de recherche de sons, et je l’ai envoyé à Mathieu qui a monté dessus. Ensuite, nous avons enregistré un premier draft de sa narration et j’ai pu composer la musique ‘The Quest’ comme je le disais plus haut, guidé par nos séances d’écoute. Il a dans la foulée assemblé les images qui illustrent son récit.
Je disais également que nous avions développé des méthodes pour l’écriture de la musique du film. Afin d’être en phase au niveau de l’énergie, nous avons réalisé la “spoting session” de manière un peu particulière. J’ai demandé à Mathieu, en s’inspirant de son storyboard, de découper le film en séquences et estimer la durée de chacune.
A partir de cela, nous avons représenté le film sous forme de courbe d’énergie avec les différentes phases et changements de dynamique qu’il fallait créer. Cette technique (je ne sais absolument pas si elle est conventionnelle) nous a permis de choisir les variations de notes, d’accords, les changements de tempos, et doser les superpositions des calques et l’intensité. Cela nous a permis d’être totalement en phase afin que la musique ne passe pas par dessus l’image et vice versa.
Sur Prélude, franchement, cela ne m’est pas arrivé. Enfin, pas de la manière que l’on pourrait imaginer. En général, cela se traduit par un manque d’inspiration, le “je suis pas dedans…” ou encore “je vais pas arriver à faire ce qu’on me demande / propose”, et là non. Pour avoir travaillé à ce jour sur quelques projets aussi différents les uns que les autres, je comprends maintenant pourquoi il ne s’est pas produit.
Notre méthode de travail a été de composer le film pas forcément dans l’ordre “début, milieu, fin” mais par moments d’inspiration, par thèmes et surtout par “aller-retour” avec Mathieu : il me proposait des images, je les transformais en instruments et en thèmes. Je pense que cela stimulait aussi Mathieu et l’orientait dans ses choix, et nous faisions des points réguliers. On a passé des heures et des heures à sélectionner des banques de sons, regarder des teasers, notamment de banques de Spitfire Audio. J’ai en mémoire avoir écouté avec lui celle d’Olafur Arnalds et on s’est regardés et dits “c’est celle-là qu’il nous faut ! ”.
Et puis je pense que le point majeur de cette collaboration est que Mathieu, (mis à part le moodboard sonore qu’il m’avait préparé, juste pour me mettre dans l’ambiance), ne m’a absolument pas imposé de choses. Par exemple souvent dans le cinéma les réalisateurs nous proposent des “temp track” ou composer “dans le style de…” ce qui est beaucoup moins créatif. Et là ce n’a pas été le cas ! J’ai composé sur mon ressenti, en regardant les magnifiques images que l’équipe de nuit (le réalisateur) faisait passer à l’équipe de jour (moi, le compositeur). Cette liberté de créativité doit certainement se ressentir, et j’ai vraiment apprécié cette démarche et quelque part ce respect pour mon travail, ma sensibilité.
Comme on révèle les secrets de fabrication de cette bande son dans cet article, je vais expliquer pourquoi… Le piano est le premier instrument que j’ai appris, principalement sur un clavier maître avec toucher piano et chaque fois que je joue sur un “vrai” piano je prends un plaisir fou. Je n’ai pas la chance de pouvoir mettre un piano dans mon studio. Un jour peut-être j’aurais cette possibilité mais il faudra pousser les murs ! Ce qui est sûr, c’est que mon amour pour cet instrument me fait commencer toutes mes compositions en l’utilisant. Je compose mes premiers essais grâce à des banques de sons “Keyscape” de Spectrasonics et plus récemment le piano de la banque gratuite Labs de Spitfire Audio qui a vraiment un grain particulier et que conseille vivement à ceux qui veulent composer mais qui’ n’ont pas la chance d’avoir un piano.
Puis, je me souviens avoir fait une session à la maison avec Mathieu et sa compagne où j’avais joué des accords de piano, un peu les mêmes qu’on entend lors de l’écran-titre de Prélude, le tout réinjecté dans une grande reverb de chez Strymon et ils avaient vraiment aimé. C’est donc un clin d’œil à cette soirée qui pour moi a figé des choses entre nous, qui fait que j’utilise cet instrument dans la composition du film.
Je pense également que j’ai pris de grosses claques en écoutant l’album Screw’ de Nils Frahm, ‘Living Room Songs’ d’Olafur Arnalds et sa capacité à donner une émotion avec un piano très épuré ou encore l’artiste Jon Hopkins. Ils savent créer des atmosphères bien à eux… Cela doit jouer dans mes influences, c’est sûr !
D’un point de vue recherche des sons, ‘briefings’ et ‘spotting sessions’ avec Mathieu, puis composition arrangement, mixage, la bande son de Prélude a dû prendre à peu près 150 à 200 heures.
J’ai travaillé à mon rythme, et entre les sessions studio dédiées au court-métrage. J’ai fait des pauses inspirantes, regardé des films et séries. J’ai aussi écouté et découvert de la musique et tout simplement joué.
Au niveau de l’interprétation des émotions et la retranscription en musique, il y a des techniques, des gammes à utiliser qui sonnent plus joyeuses ou plus angoissantes, des écartements de notes et aussi ce que l’on appelle des clusters (séries de notes très rapprochées et dissonantes). Par exemple, pour Prélude, l’atmosphère de l’intro se voulait inquiétante, angoissante, et transmettre une certaine désolation. J’ai choisi de travailler en mi bémol mineur, que j’ai pensé être la tonalité la plus adaptée aux images. Ensuite, j’ai joué sur la distance entre les notes pour créer la tension, ou la libération. Le choix du tempo a principalement été guidé par les images. Pour la composition, j’y suis allé plutôt à l’instinct !
Nous avons aussi passé du temps au mastering, pour avoir un rendu optimum. On a ré-enregistré la narration dans le magnifique studio Bypass Sound à Lyon. L’ingénieur du mastering Nicolas Saffray nous a tout de suite compris. Et vraiment il a réalisé un travail d’orfèvre.
Pour cette voix murmurée, ça s’est passé à l’instinct aussi. Nous étions à deux dans le studio quand l’idée est venue. Je me souviens, c’était en décembre, quand on faisait la “spotting session” à mi-projet. Pour info, c’est une réunion qui permet de décider où mettre la musique, où ne pas en mettre. Mathieu avait déjà monté les rushs de la fin du film. Il avait une idée bien précise, de la scène finale, le message qu’il voulait faire passer !
Quand on a ajouté cette séquence dans Logic (le logiciel de composition), on a superposé le thème piano de la fin. Et là on a eu l’idée au même moment, de la mélodie à chanter. A la toute base, nous n’avions pas prévu de faire intervenir un chant sur Prélude. En voyant cette scène, nous nous sommes vraiment projeté sur l’intégration d’un élément vocal. Du coup on a enregistré ce qu’on avait en tête avec des sons de chœurs temporaires et ajusté les notes. Le son utilisé était largement perfectible mais, de toute manière, on allait le remplacer.
J’avais justement une session studio la semaine d’après avec la chanteuse Sarah Shields pour un de ses titres. A l’issue de la session, je lui ai parlé du projet. Je lui ai également montré cette fameuse scène de fin et proposé de faire un essai. Comme c’est à la fois une super amie, et que le projet lui parlait, elle a accepté de prêter sa voix. Cette vocalise avait pour but de donner un côté vraiment lyrique et envoûtant à la scène. Je lui ai dit de se lâcher, et d’improviser, sans la guider et elle a su le faire. Dès la première prise, comprendre le mood, l’atmosphère, l’émotion et se l’approprier vocalement.
Dès cette première prise, nous étions déjà très satisfaits, et pour la petite anecdote, c’est celle qu’on a gardé ! Je profite d’ailleurs de ce texte pour la remercier pour avoir joué le jeu dès le départ. Comme à chaque fois où l’on travaille ensemble, elle a rendu le moment magique et très productif !
Plus d’informations sur
Ludovic HAUTEVELLE : www.lh-sounddesign.com
Sarah SHIELDS : https://www.sarahshieldsmusic.com